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L’ancrage des apprentissages : des neurosciences à l’application en entreprise

Margaux Daza |

Tout au long de notre vie, nous emmagasinons un flot continu d’informations dont le traitement par les différentes zones de notre cerveau va donner naissance à des processus de mémorisation complexes. Focus sur l’ancrage des apprentissages.

Introduction

Tout au long de notre vie, nous emmagasinons un flot continu d’informations dont le traitement par les différentes zones de notre cerveau va donner naissance à des processus de mémorisation complexes. Si nous prenons en exemple le fonctionnement de notre mémoire immédiate, les informations enregistrées quotidiennement par notre cerveau ne sont pas toute conservées, bien heureusement : celui-ci effectue un tri à notre insu et nous déleste ainsi de toutes celles considérées comme « secondaires » pour n’en retenir qu’un lot restreint.

Si dans ce contexte particulier l’oubli d’informations est souhaitable afin d’éviter la surcharge, en revanche il l’est nettement moins lorsqu’un individu se trouve en situation d’apprentissage et voit ses connaissances s’estomper voire disparaître au fil du temps. Ainsi, pour mieux comprendre ce phénomène, différentes études basées sur les sciences cognitives ont été menées afin de connaître les mécanismes qui favorisent la mémorisation et constituent le point d’origine à différents outils dits « d’ancrage ». Explications.

L’apport des neurosciences 

La mémoire humaine, que l’on décrit en psychologie comme étant la faculté d’enregistrer, de conserver et de rappeler les expériences passées, est un système complexe dont on ne connait certainement pas encore tous les mécanismes. Et pour cause : avant la conduite de recherches majeures en sciences cognitives, nous ignorions quels étaient les facteurs liés à la perte progressive de l’information. En 1885, les travaux de Hermann Ebbinghaus, psychologue expérimental Allemand, ont mis en évidence l’hypothèse de la courbe de l’oubli [1] selon laquelle une information se perd au fil du temps lorsque le cerveau ne cherche pas à la conserver. Ainsi, selon cette théorie, tout contexte d’apprentissage (à l’école comme en entreprise) est synonyme de mémorisation de l’information mais également de déperdition.

Plus concrètement, les sciences cognitives [2] ont notamment démontré que les méthodes les plus efficaces pour favoriser la mémorisation à long terme sont :

  • D’espacer les révisions avec des intervalles de temps de plus en plus grands
  • De répondre à des questions plutôt que consulter des leçons ou des vidéos
  • De mélanger différents sujets lors d’une même session de révision

Ancrer la formation : comment ça marche ?

Une fois les bonnes pratiques identifiées, il ne restait plus qu’à utiliser le numérique pour passer de la révision traditionnelle (voire du bachotage) à un réel ancrage des apprentissages. Au cours des dernières années, les outils d’ancrage ont évolué afin d’offrir à l’apprenant la meilleure expérience possible tout en garantissant une mémorisation à long terme. Le moyen de cet ancrage : des piqûres de rappel sous forme de question, étalées dans le temps et portant sur les apprentissages à ancrer. Bien que les différents outils partagent cette philosophie, les approches varient :

  • « Un jour, une question » : l’apprenant reçoit un rappel chaque jour, l’objectif pour les équipes pédagogiques étant de maintenir le contact avec l’apprenant sur la durée et de renforcer son engagement. Les équipes pédagogiques doivent ici définir quel sujet est revu quel jour.
  • La gamification : pour engager davantage l’apprenant, les questions d’ancrage ressemblent au maximum à des jeux.
  • La répétition espacée : dans cette approche, les sujets à ancrer sont revus à des intervalles de temps de plus en plus grands. C’est notamment le cas du système Leitner [3]. Dans cette approche, on cherche à optimiser l’ancrage en fonction de la courbe d’oubli : plus l’apprenant répond à des rappels, plus sa mémoire est solide et plus les rappels peuvent être espacés dans le temps.
  • L’utilisation de la donnée : pour aller un cran plus loin en matière d’optimisation de l’ancrage, il est possible de traiter les résultats aux questions d’ancrage avec des algorithmes pour personnaliser les rappels. Le sujet et la fréquence des rappels dépend ici de la capacité de mémorisation de chaque apprenant : l’apprenant sera sollicité plus fréquemment sur les sujets qu’il a du mal à mémoriser, et vice-versa.

Bien évidemment, certains outils d’ancrage combinent une ou plusieurs de ces approches. En matière d’expérience apprenant, ces outils existent aujourd’hui dans des versions web et mobile afin de correspondre aux usages de chacun.

Quelles applications en entreprise ?

Dans le contexte de la formation en entreprise, l’ancrage a rapidement trouvé sa place car il répond à une problématique RH essentielle : le retour sur investissement de la formation. On parle plus généralement de ROL (return on learning [4]) : du temps et des budgets sont investis en formation, il est nécessaire d’assurer le maintien des connaissances et des compétences acquises. Les outils d’ancrage viennent donc s’intégrer dans des dispositifs de formation existants afin de pérenniser les apprentissages, quel que soit le public visé ou le type de formation : présentielle, e-learning ou mixte ; parcours court ou long ; formation sur des savoirs ou savoir-faire notamment. Lorsqu’il s’agit de soft skills, on cherchera grâce à l’ancrage à développer des réflexes chez le collaborateur dans le but de faciliter la mise en pratique sur le terrain. En matière de thèmes, les cas d’application sont nombreux : management, gestes techniques, réglementaire, sécurité, etc.

Quelques conseils pour mettre en œuvre l’ancrage en entreprise :

  • L’outil choisi doit être intégré au maximum avec le(s) outil(s) de formation déjà en place pour une expérience utilisateur fluide ;
  • L’ancrage doit être ponctuel et doit tenir compte des forces et des faiblesses du collaborateur : on privilégiera la répétition espacée et individualisée, afin de maintenir le collaborateur motivé et éviter toute frustration ;
  • L’ancrage doit prouver qu’il est utile : les analytics sont essentiels pour que les responsables RH et formation puissent mesurer les bénéfices de l’ancrage sur les connaissances et les compétences des collaborateurs, voire sur leur performance.

[1] Source : https://bit.ly/2GAR4Ns

[2] Source : Dunlosky, J., Rawson, K. A., Marsh, E. J., Nathan, M. J., & Willingham, D. T. (2013). Improving Students’ Learning With Effective Learning Techniques: Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology. Psychological Science in the Public Interest, 14(1), 4‑58.

[3] Source : le sytstème Leitner

[4] Retour sur apprentissage