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Utilisation de l’IA dans l’éducation : quelle est la place de l’enseignant ?

Dans beaucoup d’esprits, l’Intelligence Artificielle (IA) évoque encore une technologie futuriste aux contours flous alors qu’elle est utilisée par énormément d’outils numériques de notre quotidien : réseaux sociaux, application météo, sites e-commerce etc. Pourtant les outils exploitant l’IA au bénéfices de l’éducation ne sont pas encore inscrits dans les usages quotidiens des enseignants et restent associés à de l’innovation. Faisons, dans cet article, un tour d’horizon des bénéfices que les enseignants peuvent tirer de ces outils et analysons les freins qu’il reste à lever afin de générer leur adoption massive.

IA enseignant

1 – les bénéfices de l’IA pour les enseignants

Par définition, l’intelligence artificielle vise à reproduire les capacités cognitives humaines à une large échelle en traitant un volume de données qu’un cerveau humain ne saurait traiter dans un temps raisonnable. Aujourd’hui les outils d’apprentissage numériques génèrent justement un grand nombre de données à propos des élèves, des ressources pédagogiques et de l’impact de l’enseignement prodigué. Mais face à une classe de 30 étudiants ou plus, un enseignant n’aura pas le temps de prendre connaissance de toutes les traces d’apprentissage laissées par chacun pour en tirer les informations essentielles à la compréhension de son niveau et mettre en place la réponse pédagogique la plus adaptée.

L’IA appliquée à l’éducation peut justement modéliser les apprenants en analysant les données à disposition pour améliorer la connaissance de l’enseignant sur ses élèves. Quel est leur niveau de maîtrise pour un sujet donné ? Qui dans la classe présente le risque le plus fort de décrochage ? Comment associer les élèves de la meilleure manière pour les faire travailler en groupe ? Autant de questions de l’enseignant auxquelles l’IA peut proposer des réponses basées sur les données d’apprentissage.

Les bénéfices potentiels de l’IA appliquée à l’éducation ne s’arrêtent pas là ! Une fois que l’on connait mieux chaque élève, des algorithmes d’Adaptive Learning (Apprentissage Adaptatif) permettent de trouver le contenu pédagogique le plus adapté afin de leur faire travailler leurs points faibles et de maximiser l’impact de l’enseignement prodigué. C’est encore à partir de l’analyse des données générées par l’élève lui-même mais également par les autres élèves et par ceux des années précédentes que l’IA est capable d’identifier les bons contenus et exercices et de faire ses recommandations à l’enseignant.

Une fois que l’élève a acquis les notions attendues, il risque de les oublier s’il ne les utilise pas fréquemment. Ce mécanisme bien connu fut mis en évidence par Hermann Ebbinghaus, psychologue expérimental, en 1885 : une information se perd au fil du temps lorsque le cerveau ne cherche pas à la conserver. Il est donc important de réactiver les connaissances dans le cerveau de l’élève pour qu’il les ancre sur le long terme, grâce, notamment, à des exercices de mise en pratique. L’Intelligence Artificielle permet de personnaliser ces rappels en fonction de la capacité de mémorisation de chacun et de sa maîtrise des sujets : l’élève sera sollicité plus fréquemment sur les sujets qu’il a du mal à mémoriser et les contenus choisis seront les plus adaptés à son profil cognitif.

Nous voyons à travers ces exemples que l’Intelligence Artificielle mise à disposition de l’enseignant peut lui permettre d’améliorer sa compréhension de la classe et l’assister dans son travail quotidien grâce à l’automatisation et à la généralisation d’une approche individualisée. Poussée à l’extrême, l’IA offre de grandes perspectives pour l’inclusion dans la classe des élèves présentant des troubles du langage ou une situation de handicap en ce qu’elle permet même la personnalisation de l’enseignement, tenant compte des difficultés motrices ou cognitives de chacun pour privilégier des formats plutôt que d’autres.

2 – Les limites et les freins à lever pour une adoption massive

Contrairement à ce que son nom laisse entendre, l’Intelligence Artificielle n’est pas « intelligente ». Elle ne fait qu’appliquer des règles qui lui ont été fournies par l’humain ou par l’analyse de données du passé pour en extraire des modèles. Les biais liés à l’usage de cette technologie sont donc importants. Ces biais peuvent être dus à la sous-représentation ou la sur représentation d’une population dans l’échantillon étudié, ou provenir directement de l’humain et du contexte culturel.

Par exemple si les algorithmes ont étudié les données d’apprentissage de secteurs scolaires privilégiés, rien ne garantit que les recommandations faites seront toujours valables dans une ZEP. Ou s’ils ont analysé les données d’élèves valides, les recommandations ne seront sûrement plus valables pour un élève malentendant ou possédant un handicap moteur. Pour éviter ces biais, l’entrainement du modèle algorithmique doit prendre en compte la population la plus large possible en terme de différences socio-économique, d’handicap ou autre.

Il est également indispensable que l’enseignant ait conscience des biais potentiels et reste maître de ses choix pédagogiques. Les outils basés sur l’IA peuvent l’assister dans certaines tâches chronophages mais l’expert humain doit rester le médiateur final avant la soumission d’un contenu pédagogique à l’élève. Aujourd’hui, un certain nombre d’enseignants reste méfiant quant à l’usage de ces nouvelles technologies en éducation parce qu’ils craignent justement la perte de leur pouvoir de décision dans leurs choix pédagogiques. Mais tout comme le vidéoprojecteur a peu à peu remplacé le tableau noir parce qu’il permettait à l’enseignant d’économiser le temps passé à écrire son cours au tableau pour l’investir plutôt dans des explications et de la didactique, l’IA doit être vue comme un outil permettant de décharger l’enseignant de certaines tâches pour se concentrer sur celles où il a le plus de valeur.

3 – Les solutions pour tirer le meilleur parti de l’IA

Il est donc indispensable d’établir une relation de confiance et de connaissance entre l’homme et la machine. L’IGESR recommande aujourd’hui de mieux former le corps enseignant à l’usage des TIC et à l’enseignement à distance1. Il est souhaitable que cette formation délivre également une culture générale sur l’Intelligence Artificielle et le fonctionnement des algorithmes pour établir cette relation de confiance indispensable à l’usage et à l’adoption de l’IA dans un cadre scolaire. Des réflexions éthiques sur le sujet sont en cours et doivent continuer d’être menées, que ce soit dans l’éducation ou dans d’autres secteurs exploitant l’Intelligence Artificielle et la data.

La sécurisation des données personnelles des élèves doit également être assurée. Comme l’explique le ministère de l’éducation nationale2 sur son site « Sous réserve d’une protection rigoureuse, les données à caractère personnel des élèves peuvent être utilisées pour améliorer l’individualisation des parcours de formation et des apprentissages, mettre en œuvre une évaluation plus performante de leur acquis, offrir aux enseignants de nouveaux outils pédagogiques et aux chefs d’établissement des services de vie scolaire répondant mieux aux attentes des familles. ». Les enseignants sont sensibilisés aux grands principes de protection des données des élèves et les délégués à la protection des données (DPD) veillent, dans chaque académie, au respect du RGPD par les responsables des traitements de données personnelles mis en œuvre dans l’académie, les écoles ou les établissements, et par les sous-traitants et prestataires prenant part à ces traitements.

Enfin, pour exploiter au mieux le potentiel de l’IA et des nouvelles technologies, il est nécessaire de créer un écosystème d’outils communicant les uns avec les autres. Des standards existent aujourd’hui et sont énormément utilisés. C’est le cas par exemple de SCORM et xAPI. Mais ils restent encore incomplets et des travaux doivent être menés dans ce sens afin de faciliter les échanges d’informations entre outils, entre classes, entre établissements etc.

Pour conclure…

Le déploiement d’outils basés sur l’Intelligence Artificielle, s’il est accompagné de la formation nécessaire et des réflexions éthiques qui vont avec, ne peut qu’être bénéfiques aux enseignants. Une meilleure connaissance des étudiants, des recommandations individualisées pour chacun et un travail d’ancrage sur le long terme peuvent améliorer l’impact de la formation, notamment celle de la formation à distance dont les modalités sont complètement différentes du présentiel. Aujourd’hui nous savons que l’apprentissage à l’aide d’outils numériques est possible mais ne peut fonctionner qu’avec une pédagogie adaptée3. Exploitons donc l’Intelligence Artificielle pour adapter au maximum l’enseignement prodigué à chaque élève tout en laissant l’enseignant maître de sa pédagogie.

Sources :

1 Les usages pédagogique du numérique en situation pandémique durant la période de mars à juin 2020, source gouvernementale

2 Les enjeux de la protection des données au sein de l’éducation, source gouvernementale

Article En classe, le numérique ne fait pas de miracles, Le Monde